Comment se comporte-t-on au cinéma aujourd’hui ? Petit guide du spectateur

Quentin Moyon
Derrière la caméra
6 min readNov 13, 2018

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Les Griffes Jaunes (John Huston, 1942) ©Warner Bros.

Parce que l’image du spectateur de cinéma que nous présente Luc Moullet dans les Sièges de l’Alcazar (1989) ou encore Bertolucci dans les Innocents (2003), ne correspond plus à grand-chose actuellement (et oui la cinéphilie est morte selon Serge Daney cinéphile et ciné-fils de renom), il est légitime de se demander à quoi ressemblent finalement les spectateurs d’aujourd’hui ? Pourquoi courent-ils dans les salles obscures, que recherchent-ils et finalement comment consomment-ils les films ? Car un cinéphile c’est bien souvent un cinéphage mais l’inverse est-il encore vrai aujourd’hui ? Afin de tracer des rets de lumière sur la nature des spectateurs contemporains du cinéma, focus dans cet article sur vous, nous, tous les amoureux du grand écran et leur rapport à la salle et au film !

Spectateurs d’aujourd’hui, qui êtes-vous ?

Il semble évidemment dur de pouvoir dresser un portrait unique et limitatif du spectateur de cinéma, le septième art représentant selon l’INSEE, la pratique préférée des français.

Malgré tout, des tendances et des profils de spectateurs semblent se dessiner que ce soit concernant la nature même des spectateurs, leur comportement dans la salle obscure, mais aussi leurs choix cinématographiques.

Une féminisation des spectateurs de cinéma

Mad Max : Fury Road (George Miller, 2015) ©Warner Bros.

En premier lieu donc, c’est la nature des spectateurs de cinéma qui évolue constamment et notamment au travers de sa féminisation. Ainsi, alors même que la production cinématographique se féminise (certes lentement, trop lentement…), nous observons un mouvement similaire au sein même des spectateurs. Non plus forcément pour des films traditionnellement considérés comme féminins à l’image de la Comédie Romantique, mais aussi en ce qui concerne la consommation de Films de Genre qu’ils soient horrifiques ou fantastiques. La féminisation touche également les Films d’Action, comme le rappelle Konbini, certains films pouvant aller jusqu’à se voir accusés d’être « trop féministes » comme ce fut le cas de Mad Max : Fury Road (2015) de George Miller.

Le comportement des spectateurs dans la salle obscure

En ce qui concerne le comportement dans les salles, il semble que les « règles » caractérisant les anciens cinéphiles ne soient plus véritablement d’actualité. Le positionnement dans les premiers rangs, cher à François Truffaut, permettant de plonger dans le film et dans l’intrigue et de subir un effet de « sidération », semble laisser en partie place à de nouveaux positionnements très variés.

Selon le sociologue Emmanuel Ethis dans son ouvrage Le cinéma près de la vie, Prises de vue sociologiques sur le spectateur du XXIe siècle, on retrouve trois profils particuliers des spectateurs contemporains de cinéma : les cinéphiles, les téléphiles et les couples. Ces trois corps sociaux voient en effet leur positionnement dans la salle influencé par leurs pratiques culturelles, mais aussi par leur situation relationnelle. Ainsi alors que la culture cinéphile perdure, elle voit toujours ses adeptes se positionner dans les premiers rangs, tandis que les personnes plutôt consommatrices de télé se cantonnent aux sièges les plus éloignés. Une distinction que Jean-Luc Godard avait lui-même déjà sentie comme le rappelle Emmanuel Ethis : « Godard disait qu’on lève les yeux dans la salle de cinéma et qu’on les baisse devant la télévision. On a l’impression d’être dans l’écran ». Les couples enfin, se positionnent plutôt sur les côtés de la salle, afin de pouvoir établir une sorte de cocon bien à eux.

A noter, comme le précise enfin Claude Forest, lui aussi sociologue du cinéma, dans son article Qui s’assoit où ? Stratégies d’occupation des sièges dans la salle de cinéma, que le comportement d’un spectateur au cinéma est lié à des relations de pouvoirs avec l’environnement qui l’entoure. Ainsi, le positionnement d’un spectateur de manière éloignée par rapport à l’écran, révélera un besoin de contrôle de son espace et une volonté de sécurité vis-à-vis notamment de ce qui se trouve derrière lui, mais aussi de contrôle vis-à-vis de l’image via sa mise à distance. Ces jeux de pouvoirs se reflètent enfin dans le non-respect de certains individus ou groupes de jeunes, du silence, pourtant si prisé par les cinéphiles. Un comportement notamment pratiqué par les groupes de jeunes comme le met en avant Claude Forest, qui souhaiterait par ce biais s’affirmer comme dominants.

Infographie des spectateurs au cinéma ©Slate.fr

Que voit-on au cinéma ?

Finalement, que voit-on de nos jours au cinéma ?

Au vu des derniers Box-Offices, la priorité est toujours donnée à des films dits blockbusters. Le succès de ces grosses machineries à l’image de Avengers : Infinity Wars (2018) des frères Russo, ou dans le genre de l’animation des Indestructibles 2 (2018) de Brad Bird, semble donner quelques indices quant aux préférences des spectateurs. Le cinéma de genre semble n’avoir jamais été aussi fort et apprécié. Cela s’observe notamment, au travers de la multiplication des adaptations de comics par les deux grosses écuries Marvel et DC Comics, mais aussi par Disney (via la Fox récemment rachetée à prix d’or) ou encore Sony. Par le biais également, du succès des productions horrifiques à l’image de la série des Conjuring ou des Paranormal Activity. Mais aussi par le retour de genres disparus pendant longtemps comme le Western.

Cette appétence pour les films à gros budgets s’explique également par l’incorporation chez les spectateurs, de patterns de construction des films très classiques. Ces derniers se composent alors de trois parties (état initial, élément perturbateur et conclusion) ou de quatre, à l’image du nouveau schéma mis en avant par Alien, le huitième passager de Ridley Scott ajoutant un retournement de situation à la fin. Du fait d’une réutilisation massive de ces schémas narratifs, nous leurs sommes plus facilement sensibles car ils nous paraissent naturels. Nous les avons “incorporés”.

Pour finir, le succès des blockbusters s’explique par la starisation de certains acteurs, phénomène cher à Edgar Morin et extrêmement prégnant dans les jeunes années du 7ème art, qui a tendance à se refaire une jeunesse. En effet, ces stars bien souvent présentes dans les films à gros budget, nourrissent et entretiennent leur image par une sur présence sur les réseaux sociaux : on retrouve donc des dynamiques de retour à la salle pour une personnalité et non pour une œuvre.

Concluons alors avec Emmanuel Ethis lui-même qui tend à rappeler que le cinéma est une activité sociale qui doit donc répondre à certains impératifs : « Avec la salle de cinéma, on tient sans doute l’un des plus beaux outils de la démocratisation culturelle car elle est toujours présente, comme pouvait l’être la salle de théâtre dans le passé, et parce qu’elle est disponible dès le plus jeune âge.On s’éduque réellement à la pratique culturelle en allant dans une salle de cinéma. Une famille qui emmène son enfant au cinéma lui apprend à s’installer dans un fauteuil beaucoup trop grand pour lui et à domestiquer son corps pour participer à un spectacle collectif. Car pour accéder au spectacle il faut accepter ce collectif, obéir à certaines règles comme être silencieux…Le cinéma, c’est une autre manière d’être ensemble.»

Des règles à observer donc, très bien résumées dans leManuel du Savoir-vivre du Spectateur du Fossoyeur de Films ! Enjoy !

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