Le Musée du cinéma de Turin : le son au service de l’image ?

Quentin Moyon
Derrière la caméra
5 min readSep 28, 2018

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En plein centre-ville, la Mole Antonelliana est un des immanquables de Turin, ne serait-ce que visuellement ! Avec son dôme et sa flèche, cette construction massive s’affirme comme un incontournable notamment grâce au point de vue incroyable qu’il offre sur la ville. Symbole de Turin, le bâtiment héberge le célèbre Musée National du Cinéma que je suis allé découvrir : visite guidée et avis…

Institution mettant en valeur le cinéma, c’est un des Musées du Cinéma les plus importants du monde du fait de la richesse de son patrimoine mais également de ses activités scientifiques de restauration et de vulgarisation.

La Mole Antonelliana, résidence du Musée du Cinéma au cœur de Turin

Mais le Musée du Cinéma de Turin n’est pas un musée ordinaire. Entièrement scénographié par François Confino, ce musée fascine avant tout par son traitement original du cinéma… Au travers du son ! Par l’entrelacement incessant d’images et de sons, de musiques et de dialogues, les émotions ne tardent pas à envahir le visiteur (spectateur ?).

L’occasion de revenir sur cette relation particulière qui est celle du son et de l’image.

Origines des relations son / cinéma

Moulage original du Grand Requin Blanc de Jaws (1975) de Steven Spielberg

Les entrailles de cette relation sont pleinement autopsiées dans le Musée de Turin. La plongée commence donc par un retour sur les origines du cinéma. Entre kinétoscope Edisonien, théâtre d’ombres, la place du son se dessine déjà. Malgré un cinéma au commencement muet, le musée ne cesse de nous rappeler sa présence dès les origines : du fait d’un accompagnement orchestrale notamment.

La date officielle d’arrivée du son directement sur les bobines est évidement mise en valeur : 1927 et la sortir du Chanteur de Jazz d’Alan Crosland. Le cinéma sonore ou parlant, correspondant aux films permettant de visionner simultanément images et son enregistrés par le biais du procédé Vitaphone, est officiellement né.

Les formes de son

A partir du moment où le son a été intégré au cinéma il a certes dû faire face à des oppositions, notamment celle des défenseurs du « vrai cinéma » renvoyant au cinéma muet. Mais il n’a surtout eu de cesse de se développer, affirmant de plus en plus sa légitimité.

Le son prend aujourd’hui de nombreuses formes, avec chacune leur utilité et leur sens propre :

  • Le Son « IN » : C’est le son qui est issu d’une source directement visible à l’écran, à l’image de la voix des acteurs.
  • Le Son hors-champs : C’est le son qui n’est pas issu d’un élément visible à l’écran mais qui appartient malgré tout à la narration.
  • Le Son « OFF » ou bien « Over » : Ce type de son est à la fois hors du champ mais aussi hors de la narration. Pour autant il vise souvent à donner plus de poids à la signification d’une image.
  • La Musique de Fosse : Cette musique n’appartient pas à la narration et n’est pas présente à l’écran.
  • La Musique d’écran : Dans ce cas-là, la musique est à la fois présente dans la narration. Elle est donc « IN » ou « hors-champ ».

La multiplicité de ces formes de Son, que l’on retrouve pour la plupart illustrées au Musée de Cinéma de Turin, n’est pas anodine et se révèle porteuse de sens, conférant une véritable plus-value au service des images.

Le son comme instrument au service de l’image

Le son vecteur de sens

Le Son qu’il soit « IN » ou « OFF » est toujours porteur de sens, le plus souvent en relation avec les images, comme le rappelle Laurent Jullier.

Trois sens sont le plus souvent recherchés dans les films :

  • Les Sons diégétiques : Ce type de son est un son « IN », qui appartient à la narration et qui tend à nous dire, en même temps qu’aux personnages ce qu’il se passe. Ce sont des sons appartenant à « la vraie vie » mais qui n’en sont pas moins porteurs de sens. Ils sont souvent utilisés dans les films pour renforcer l’aspect réaliste comme c’est le cas dans la Vie d’Adèle d’Abdelatif Kechiche.
La Vie d’Adèle (2013) d’Abdelatif Kechiche (©Wild Bunch/Quat’sous Films/France 2 Cinéma/Scope Pictures/RTBF/Vertigo).
  • Les Sons extradiégétiques : Ces derniers correspondent à la musique, au narrateur extérieur cher aux films de Truffaut… Ces sons détachés de la réalité n’en sont pas moins importants pour la compréhension du spectateur. Les musiques peuvent notamment être de deux types : soit empathique et visant donc à se trouver en adéquation avec les images pour en renforcer le sens, ou bien an-empathiques afin de marquer le contraste entre l’image et le son de manière flagrante. On pensera par exemple à l’ « Ultra-violence » des personnages d’Orange Mécanique, de Stanley Kubrick, qui se déroule sous nos yeux, simplement rythmée par une musique douce. L’aberration de l’action voire la folie est alors soulignée.
  • Les Sons « à sensations » : Ces derniers s’opposent aux deux premiers du fait de leur détachement par rapport à la création d’un sens précis. Ces derniers ont plutôt pour objectif le développement d’une atmosphère, d’un sentiment particulier. Ils peuvent ainsi par exemple être utilisés à chaque fois que tel ou tel personnage nous apparaît, nous permettant de mieux l’identifier, et de cerner s’il représente une menace.

Le son, un personnage à part entière ?

Finalement ce que tend à mettre en avant une grande partie des collections du Musée du Cinéma de Turin (oui car le son n’est pas l’unique sujet traité dans celui-ci) c’est que le son s’affirme comme un personnage à part entière des productions filmiques. Un personnage qui dispose de ses caractéristiques, de ses traits de caractère, en fonction du film certes mais aussi du créateur de la musique : Georges Delerue, John Williams ou encore Danny Elfmann ayant tous un univers qui leur est propre.

Manifeste des Sept Arts (1922) de Ricciotto Canudo

Ce personnage que représente le son vient compléter le tableau du 7ème art, ce dernier étant selon Ricciotto Canudo dans son « Manifeste des Sept Arts » rédigé en 1922, l’ « Art Total » intégrant en son sein l’ensemble des 6 arts précédents pour les utiliser afin d’exprimer des idées, des pensées.

Ainsi, même si le Son peut être traité comme un personnage à part entière il doit être étudié en relation avec l’image, cette dernière pouvant voir l’essence même de sa signification variée au prisme du son qui lui est alors accolé.

En conclusion, le Musée du Cinéma de Turin est une véritable perle à ne pas manquer si l’on souhaite prendre le temps de s’intéresser à la relation son/image dans un environnement d’exception !

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